Tanisha Salakoh
Tout au long de février, pour souligner le Mois de l’histoire des Noirs, nous interviewons quelques-uns de nos artistes favoris issus des communautés noires du Canada. Nous découvrons leurs inspirations, leurs conseils pour 2022, et bien plus encore.
Qu’est-ce qui vous a menée vers cette carrière? Avez-vous toujours été passionnée pour l’art?
Les gens sont souvent surpris de l’apprendre, mais je suis en fait comptable agréée! Qui a dit qu’on ne pouvait pas être à la fois artiste et comptable? J’ai toujours été passionnée par l’art. Mon père était artiste, j’ai donc été encouragée dès mon plus jeune âge à exprimer mon côté artistique. Que ce soit lorsque je suivais des cours de poterie ou de peinture, ou encore lorsque je créais mes propres personnages de bandes dessinées, l’art a toujours occupé une place importante dans ma vie. Toutefois, mon parcours créatif a réellement débuté en 2016 lorsqu’un visa de travail de trois ans m’a permis d’aller passer du temps au Royaume-Uni. Ce qui n'était au départ qu'un exutoire créatif au travail est devenu une vraie passion. Étant donné que mes pièces devenaient de plus en plus grandes, j’ai loué mon tout premier studio et j’ai gagné assez de confiance en moi pour commencer à exposer mes œuvres. Cela m’a menée où je suis aujourd’hui.
Avez-vous une philosophie personnelle?
Pour moi, ce qui compte, c’est de vivre et de créer dans le moment présent. Exprimer sa créativité est une façon à la fois naturelle et gratifiante de pratiquer la pleine conscience. Il est facile de se perdre dans le processus créatif. Les couleurs, les textures, le bruit des outils sur la toile... il est très facile de perdre la notion du temps. Je crois que le processus de création est en soi plus important que le résultat final.
Qu’est-ce qui vous inspire?
Honnêtement, il n’y a jamais qu’une seule chose qui m’inspire. Voilà pourquoi je trouve la peinture si excitante, si rafraîchissante! Les voyages et la musique me motivent particulièrement. Par exemple, en 2021, j’ai créé une série complète d'œuvres inspirées de la bande sonore du film Tenet, composée par Ludwig Goransson. Les rythmes électriques mélangés aux mélodies orchestrales, le passage des cadences lentes à effrénées et les sons évocateurs ont vraiment stimulé l’énergie créative en moi. Pendant des mois, j’ai peint en écoutant cet album, en laissant mon subconscient prendre le contrôle et en laissant s’exécuter tout naturellement le processus créatif.
Quelles sont vos tendances artistiques favorites pour 2022?
J’ai constaté au cours des cinq dernières années, un réel engouement pour l’achat local et le soutien aux artistes et artisans locaux. C’est maintenant tendance pour les entreprises de collaborer avec des artistes, que ce soit pour vendre le travail des artistes dans leur propre commerce ou encore d’accueillir des expositions ou d’organiser des réceptions dans leur espace. Ces collaborations sont bénéfiques pour tous et elles sont une excellente façon d’agrandir son réseau au sein de la communauté locale.
Quelle est votre œuvre préférée?
Je n’aime pas beaucoup avoir de favoris, mais il y a tout de même quelques œuvres qui me viennent en tête. Une d’elles s’intitule « Posterity ». Je l’ai peinte en 2021. Durant cette période, j’expérimentais et je travaillais sur une série pour laquelle j'utilisais diverses substances et techniques que je mélangeais à la peinture en acrylique épaisse afin de créer différentes couches et textures. J’expérimentais également avec une approche de peinture linéaire, ajoutant des piliers verticaux de différentes tailles et couleurs pour créer des effets visuels intéressants. C’était la première toile de la série, et cela m’a réellement permis de définir mon style.
Est-ce qu’il y a certaines « règles d’art » que vous aimez enfreindre?
En tant qu’artiste autodidacte, je n’ai jamais vraiment suivi de « règles d’art » comme tel. Je peins avec un « squeegee », après tout! Mais plus sérieusement, la règle d’art que j’aime bien enfreindre, c’est de commencer par une étape de planification en début de projet. L’absence de références photo, de dessins ou d’esquisses me permet une liberté absolue pour exprimer ce que je ressens dans le moment présent. Quand je peins, je n’ai aucune idée préconçue de ce à quoi ressemblera ma toile. Les lignes et les traits sont exécutés au hasard; je laisse mon subconscient et mon expression créative prendre tout le contrôle.
Quelle est votre œuvre favorite d’un autre artiste?
C’est une question très difficile. J’ai plusieurs artistes favoris, qui ont tous influencé ma technique et mon art au fil du temps. Si on me forçait à n’en choisir qu’un seul, j’opterais pour Gerhard Richter, pour sa série Cage. J’ai vu sa collection pour la première fois en 2015 au Tate Modern de Londres en Angleterre et j’ai été vraiment attirée par ses compositions à grande échelle et les multiples couches et textures. Il décrivait son approche comme la volonté d'abandonner l’ordre et le contrôle pour laisser les choses au hasard. Cela a grandement influencé ma technique de peinture et mon approche créative.
Comment voyez-vous la communauté artistique canadienne devenir de plus en plus diversifiée?
Je crois que la communauté artistique canadienne a évolué et est devenue plus diverse dans les dernières années. En 2021, le musée Quamajuq, exhibant la plus importante collection d’art inuit au monde, a ouvert ses portes à Winnipeg. Je constate un nombre croissant d'occasions, d’auditions grand public ciblées aux offres de bourses qui sont destinées aux artistes PANDC, personnes autochtones, noires et de couleur. Le nombre d’organisations qui font la promotion et diffusent le travail de ces artistes et professionnels au Manitoba augmente également. C’est encourageant de constater un tel intérêt pour les collaborations et les partenariats qui soutiennent la diversité et qui offrent une vitrine aux individus de diverses origines. Il y a encore beaucoup de travail à faire en ce qui a trait à la diversité, l’égalité et l’inclusion, mais je crois que nous avançons dans la bonne direction.
Comment votre art s’est-il adapté au monde de plus en plus virtuel?
De façon générale, le passage au monde virtuel a été assez difficile, surtout depuis le début de la pandémie. Le report et l’annulation de plusieurs de mes expositions et réceptions à cause de la COVID ont réduit les possibilités que j’aurais eues de créer des liens et d'élargir mon réseau au sein de la communauté artistique. De plus, je crois qu’il faut voir mes pièces en personne pour pouvoir réellement en apprécier les couches superposées et les textures. Les photos ne leur rendent pas tout à fait justice. Ce passage au virtuel m’a toutefois permis de renforcer ma présence sur les réseaux sociaux, les marchés virtuels ponctuels et les séances de consultation artistique sur Zoom. Cela m’a forcée à m’adapter rapidement et m’a rendue plus forte et plus résiliente.